Je me suis arrêté à la journée où on a rencontré Mithu… Le soir même, on devait prendre le bus pour rentrer à Katmandou, car on avait pris du retard dans notre planning et qu’on devait absolument rentrer le samedi car des jeunes étudiants népalais venaient offrir plein de choses (vêtements, couvertures, jeux…) aux enfants. C’était un évènement planifié depuis longtemps et Krishna ne voulait pas rater ça. Mais évidemment au Népal, quand on prévoit des trucs, ça se passe jamais comme on veut ! En fin d’aprem, nous avons appris que notre bus n’était pas encore arrivé à Nepalganj et qu’il était coincé à plus de 250 km à cause d’un accident. Pas de possibilités de prendre un autre bus, ou même un vol, on était coincés… Du coup on a passé notre samedi à glander, j’ai même fait une grass’mat jusqu’à 7h30 (c’est hyper tard ici ;) ), c t ma première journée de repos en fait… j’ai apprécié finalement. Comme on était coincé et que même ce jour-là on n’a pas pu avoir de billets pour KTM et que de toute façon on ratait l’évènement à l’orphelinat, on a décidé d’aller directement à Beni en passant par Pokhara, des billets de bus étant encore disponibles.
On a donc voyagé en bus pendant plus de 20h pour rejoindre Pokhara et ses montagnes au petit matin suivant. C t un choc thermique, visuel et culturel. Deux régions qui n’ont rien à voir, l’une tropicale, l’autre montagneuse, avec 7 des plus hauts sommets du monde devant nos yeux ! Le Népal a cette richesse de paysages qui est bluffante… A peine arrivés à Pokhara, on a pris un autre bus, local celui-là, pour rejoindre Beni à 3-4h de route pour finalement arriver chez Rubina vers 11h. On était cuits…d’autant plus que la route pour rejoindre Beni est très chaotique… (je suis trop grande pour les bus népalais, j’ai des bleus partout^^). Pour rejoindre l’immeuble où vit Rubina, il a fallu traverser un de ces fameux ponts suspendus en métal que vous avez déjà tous du voir, au moins en photo… J’ai pas le vertige, mais là je vous assure que je faisais pas la maline^^ on voyait à travers, et la rivière était vraiment large… Bref, une fois arrivés de l’autre côté, on a retrouvé Rubina, embrassades, sourires, joie :) elle était super contente de nous voir, nous aussi. Elle nous a amené dans son tout petit une pièce, qui leur sert de cuisine, chambre, salle à manger, salon… Les toilettes sont sur le palier. Les conditions de vie là aussi sont très spartiates, mais on est dans une ville, dans un immeuble salubre, à l’abri des animaux sauvages… Et puis surtout les sourires ! De Rubina, de sa mère, les discussions à bâtons rompus… La cuisine succulente de Rubina et les bonnes nouvelles : Rubina a eu une bourse car elle était bien classée à son exam de fin d’année, elle est dans une école privée de « hotel management », et je trouve que ça lui colle tout à fait ! Une fois ses études finies, elle veut partir travailler à l’étranger, et elle aura peut-être une opportunité au Royaume-Uni, car sa grand-mère maternelle, veuve d’un ancien combattant de l’armée britannique (historiquement l’armée britannique avait engagé bcp d’hommes de l’armée népalaise qui était considérés comme très pugnaces), a pu aller vivre au Royaume-Uni (elle a eu la nationalité), et pourrait donc l’accueillir chez elle. Tout ça est très hypothétique bien-sûr, car pour l’instant Rubina n’a même pas de papiers d’identités, il y a un souci avec les papiers de sa mère (qu’elle n’a jamais réglé) et les dates de naissance de l’une et l’autre ne collent pas (leur différence d’âge sur les papiers est trop faible pour qu’elles puissent être mère et fille). Bref, là j’ai commencé à comprendre pourquoi Rubina avait été placée petite, parce que franchement là je me demandais… Une famille très pauvre, une histoire de remariage, une belle-mère menaçante, ça je savais… mais pourquoi alors la situation avait-elle changé au point que Rubina pouvait revenir maintenant ?
En fait, la caste de Rubina est une communauté de gens qui vivent selon des mœurs assez libres (ils font fi des convenances et autres traditions). Ainsi sa mère s’est mariée à 13 ans (!), un mariage d’amour qui a abouti à la naissance de Rubina, alors que sa mère avait 14 ans… Ensuite son père biologique a quitté sa mère, s’est remarié, et sa mère aussi a refait sa vie de son côté… Sauf qu’évidemment à 14 ans, sa mère n’était encore qu’une enfant et qu’elle n’a probablement pas su s’occuper de sa fille… En discutant un peu avec sa mère (Rubina ou Krishna me traduisait), j’ai compris que sa mère était très immature, même encore aujourd’hui (elle est plus jeune que moi, Rubina a 19 ans, sa mère 33…). On dirait d’ailleurs que c Rubina la mère dans leur « binôme ». En fait, Rubina a été placée à l’âge de 5-6 ans, quand sa mère a eu son petit frère. Et depuis Rubina a été élevée par Krishna et Laxmi en fait… qui lui ont donné une éducation assez stricte, très loin des mœurs de sa caste. Ce qui fait que Rubina est très différente de ses camarades de classe par exemple. Sa mère nous a raconté que les jeunes garçons et les filles de l’âge de Rubina flirtent bcp, et que le premier garçon qui a essayé de séduire Rubina s’est pris une gifle ! G t morte de rire, hihihihi :D ! Ca lui ressemble tout à fait ! Elle est hyper indépendante et trèèèèèès loin des préoccupations de ses camarades. Elle rêve de partir à l’étranger, de travailler, d’être libre et indépendante. Bien-sûr un jour ou l’autre, elle trouvera sûrement un garçon qui lui correspond, mais je pense qu’elle prendra le temps de bien choisir et qu’elle ne tombera pas amoureuse du premier venu… Elle me fait penser à quelqu’un ;)
Bref, c’est donc une Rubina heureuse que j’ai trouvé chez elle, elle est contente d’être libérée de toutes les responsabilités qu’elle avait à l’orphelinat (c t la plus ancienne, la grande sœur de tous, elle gérait énormément de choses). Elle est assez grande et autonome aujourd’hui pour gérer sa vie, je lui fais confiance. Et puis sa mère, bien qu’immature, est très joyeuse qui ce qui gâche rien. Il faudrait juste qu’elle arrive à gérer ses problèmes de papiers histoire que Rubina puisse un jour partir à l’étranger comme elle le veut… On lui a laissé un peu d’argent pour payer les frais d’examens et un pull pour l’école (non pris en charge par la bourse). Et puis on l’a quitté, contents (Krishna est particulièrement fier de voir ce qu’elle est devenue, c’est la première qu’ils ont accueilli, ils la considèrent quasiment comme leur fille). Là je mesure vraiment l’impact de l’orphelinat sur la vie des enfants, concernant Rubina, ça a été un changement radical. Même si, bien-sûr, on les déracine un peu en les envoyant ainsi à la capitale pour étudier, au moins bénéficient-ils d’une réelle chance d’étudier et de sortir du cercle vicieux de leur famille. En sera-t-elle plus heureuse pour autant ? C’est une question qui ne trouvera réponse certainement que dans quelques années… Mais comme disait Mithu : « tu sais, avant que j’arrive ici, j’étais comme un singe, je ne pensais qu’à aller jouer dans la jungle avec mes copains… ». Pour Rubina, ce n’était certainement pas dans la jungle qu’elle serait allée jouer, mais peut-être aurait-elle eu, elle aussi, déjà des enfants à 15 ans…
Je vais continuer à garder contact avec Rubina, elle a un compte facebook, un téléphone (que son beau-père lui a offert) et je lui ai dit que si un jour, par chance, elle venait au Royaume-Uni, il fallait évidemment qu’on se voit… Je suis curieuse de savoir ce qu’elle va devenir… mais comme elle me disait souvent : « we never know what future will be, right ? ». Avec elle au moins, le champ des possibles est ouvert… au contraire de celui de Mithu… et ça fait toute la différence…