Hier matin, j’ai été faire une intervention dans une paroisse mosellane qui a choisi l’assoc pour récolter ses dons de Carême. Voici le texte que j’ai lu :
» Bonjour, la majorité d’entre vous me reconnaissent surement : je m’appelle Sandrine et je suis la présidente de l’association PAON : Pour l’Aide aux Orphelins du Népal. Je suis déjà venue dans votre communauté de paroisse pendant le Careme 2011, vous m’aviez alors accueilli dans la plus grande simplicité et avec beaucoup de générosité. C’était il y a 5 ans et je venais de faire mon premier voyage au Népal, où j’avais rencontré, entres autres, un couple de Népalais qui avaient fait le choix d’ouvrir leur foyer à des enfants orphelins. Je reviens aujourd’hui, 5 ans plus tard, solliciter à nouveau votre aide.
En 5 ans, j’ai eu le temps de retourner 3 fois au Népal, une première fois en 2012 alors que j’avais demandé un mi-temps annualisé. J’y étais restée 5 mois. 5 mois à partager la vie du quotidien avec ces orphelins, afin de mieux comprendre leur mode de vie, leur culture, de mesurer quels étaient les besoins, et d’évaluer aussi en quoi je pourrais réellement les aider. Inutile de vous dire que ces 5 mois ont été les plus formateurs de ma vie : j’y ai appris la patience, la clémence, l’abnégation, l’humilité aussi. Le retour n’a pas forcément été très facile. Mais au retour, j’avais une certitude : je voulais continuer à les aider, mais plus efficacement. Alors nous avons décidé avec quelques amis, que je ne cesserai jamais de remercier, de créer une association : l’association pour l’Aide aux Orphelins du Népal (PAON pour les intimes). L’objectif de cette association n’est pas, bien-sûr, d’aider TOUS les orphelins du Népal, mais au moins d’aider ceux-là, voire même d’autres par la suite… Rédaction de statuts, assemblée générale, adhérents, parrainages, site internet, nous sommes passés par toutes les étapes de création, gestion, organisation. Cela aussi a été très formateur et nous a demandé, il faut le reconnaitre, quand même pas mal de temps et d’investissement. Au bout d’une année, nous avions réussi à rassembler une cinquantaine d’adhérents (tous plus ou moins membres de la famille et des amis) et une demi-douzaine de parrainages. Nous avons aussi par la suite lancé des actions : vente de calendriers, intervention dans des écoles, confection d’objets dérivés, marché de Noel. Toutes nos actions n’ont pas forcément été couronnées de succès, mais globalement, l’association s’est développée au fil des années et en 2014, lorsque je suis retournée pour un mois à l’orphelinat pendant l’été, j’ai pu constater les bienfaits de notre action : les virements réguliers que nous faisions à l’orphelinat avaient permis de faciliter grandement le quotidien : il n’y avait pas (ou presque) de retard de loyers, il y avait des réserves de nourriture et les enfants avaient chacun de quoi s’habiller et des fournitures scolaires suffisantes pour aller à l’école. Les enfants avaient grandi, bien-sûr, et profitaient pleinement de l’éducation qu’ils recevaient dans cette grande famille. C’est donc le cœur presque léger que je suis revenue en France, en me disant qu’il fallait qu’on continue à leur apporter notre soutien, parce que vraiment ce qu’il se passait là-bas, était très positif. L’association se portait bien et permettait de les aider régulièrement. Et puis quelques mois plus tard, en Avril 2015, tout s’est effondré. Le séisme, s’il n’a pas détruit l’orphelinat, a rompu l’équilibre instable qui s’était créé autour de ces enfants. A cause des risques de réplique, les enfants ont dormi sous des tentes de fortune à l’extérieur de la maison pendant 15 jours, l’école, en partie détruite, a été interrompue pendant 2 mois le temps de construire des salles de classes en tôles (avec l’aide de l’Unicef), l’approvisionnement a été coupé temporairement, et enfin les prix des denrées alimentaires ont fortement augmenté. L’association a bien-sûr été présente pour les aider dans ces moments difficiles et une aide d’urgence a été envoyée pour pouvoir acheter de l’eau et de la nourriture. Le retour à la normale s’est fait progressivement.
Quelques mois plus tard, après cette catastrophe naturelle, c’est une autre catastrophe humanitaire qui est venue s’abattre sur le pays : un blocus économique de grande ampleur a touché la région de Katmandou. Je ne développerai pas ici les détails de la vie politique népalaise, mais pour en comprendre les conséquences, il faut se mettre dans le contexte d’un pays qui est sorti il y a 8 ans de la guerre civile, dont le peuple est encore en train de panser les plaies, d’un pays dont les dirigeants politiques tentent d’écrire une constitution qui établisse les grandes lignes de cette démocratie, et enfin d’un pays qui, pour ne pas simplifier les choses, se situe entre deux grandes puissances mondiales, l’Inde et la Chine, qui se partagent à peu près tous les marchés asiatiques, voire mondiaux et qui ont chacun une grande influence sur la vie politique locale. L’équation est donc complexe, voire insoluble pour le moment et laisse le peuple népalais dans la plus grande détresse. Comme dirait Krishna, le directeur de l’orphelinat : « on ne fait que survivre ici ».
Je suis revenue il y a une semaine du Népal, où j’ai pu vivre moi-même les conséquences de ce blocus : pénurie d’essence, de gaz, prix des denrées alimentaires de base qui ont doublé: riz, huile, sucre etc… On cuisinait donc au feu de bois, à l’extérieur de la maison et on faisait comme on pouvait. Pour compléter le tableau, j’ajouterais aussi qu’il n’y a pas d’eau au robinet et de l’électricité que quelques heures par jour. Je ne veux pas dépeindre ici un tableau noir de la situation, c’est tout simplement leur quotidien que je vous décris. On vit avec les contraintes, c’est comme ça, on n’a pas le choix. Une fois qu’on s’y est habitué, on fait avec sans trop se plaindre. On espère cependant retrouver un semblant de normalité quand la situation politique se sera stabilisée (pendant que j’y étais, un accord a été trouvé pour lever le blocus, on peut donc être optimiste).
Pendant ces deux semaines que j’ai passé avec eux, une chose m’a marquée : malgré les difficultés et les catastrophes, les enfants font leur bonhomme de chemin : les garçons ont grandi, muri, les filles sont devenues de vraies jeunes femmes. Tous sont très autonomes à la maison, ils participent efficacement aux tâches quotidiennes, et en plus de ça, ont pour la plupart de très bons résultats scolaires. 4 d’entre eux ont décroché une bourse pour suivre des cours d’anglais approfondi en partenariat avec l’ambassade des Etats-Unis, 1 autre est champion d’échec de l’école. Bref, ils profitent au mieux de l’éducation qu’on leur donne et tirent vraiment bien leur épingle du jeu. C’est l’impression qui m’est restée depuis une semaine : cette fois-ci j’ai pu vraiment constater les fruits de cet engagement moral que j’ai pris auprès d’eux. Il y a 6 ans c’était des enfants un peu perdus, en manque d’affection et de repères, des enfants qui m’avaient bouleversés, aujourd’hui ce sont des ados surs d’eux, qui réussissent à l’école et qui s’épanouissent dans leurs activités, qui donnent leur avis et avec qui on peut avoir des discussions sur ce qu’ils ont appris ou sur ce en quoi ils croient. Je n’ose même pas imaginer à quel point ils auront encore grandi la prochaine fois que je les verrai. Alors même si cela a de nouveau été difficile de m’en séparer samedi dernier, je suis revenue très sereine et avec le sentiment qu’avec l’association on faisait vraiment quelque chose de « bien ».
Alors vous comprendrez à quel point j’ai été heureuse en apprenant que votre équipe d’animation pastorale avait choisi de nous aider à nouveau cette année. Les besoins sont très simples : permettre à des enfants, des adolescents de vivre décemment, de manger à leur faim, d’aller à l’école. D’apprendre un métier afin de devenir un jour autonome. Nul doute que ces enfants à leur tour soutiendront cet orphelinat comme ils le pourront à l’âge adulte. C’est leur « maison », le lieu où ils ont été rendus à leur dignité, nourris, éduqués. Le lieu où ils ont trouvé des adultes pour s’occuper d’eux et leur assurer protection, soutien et bienveillance. L’association PAON se fait le relais de ces adultes en France. Au bout de la chaîne, c’est vous, par vos dons, qui permettez à ces enfants de vivre en toute simplicité une vie digne de ce nom. Merci pour eux. »
Quelques tremblements dans la voix à la fin, mais sinon tout s’est bien passé
Merci à la communauté de paroisse de Metzervisse de m’avoir accueilli !