Une semaine après…

Hier matin, j’ai été faire une intervention dans une paroisse mosellane qui a choisi l’assoc pour récolter ses dons de Carême. Voici le texte que j’ai lu :

 » Bonjour, la majorité d’entre vous me reconnaissent surement : je m’appelle Sandrine  et je suis la présidente de l’association PAON : Pour l’Aide aux Orphelins du Népal. Je suis déjà venue dans votre communauté de paroisse pendant le Careme 2011, vous m’aviez alors accueilli dans la plus grande simplicité et avec beaucoup de générosité. C’était il y a 5 ans et je venais de faire mon premier voyage au Népal, où j’avais rencontré, entres autres, un couple de Népalais qui avaient fait le choix d’ouvrir leur foyer à des enfants orphelins. Je reviens aujourd’hui, 5 ans plus tard, solliciter à nouveau votre aide.

En 5 ans, j’ai eu le temps de retourner 3 fois au Népal, une première fois en 2012 alors que j’avais demandé un mi-temps annualisé. J’y étais restée 5 mois. 5 mois à partager la vie du quotidien avec ces orphelins, afin de mieux comprendre leur mode de vie, leur culture, de mesurer quels étaient les besoins, et d’évaluer aussi en quoi je pourrais réellement les aider. Inutile de vous dire que ces 5 mois ont été les plus formateurs de ma vie : j’y ai appris la patience, la clémence, l’abnégation, l’humilité aussi. Le retour n’a pas forcément été très facile. Mais au retour, j’avais une certitude : je voulais continuer à les aider, mais plus efficacement. Alors nous avons décidé avec quelques amis, que je ne cesserai jamais de remercier, de créer une association : l’association pour l’Aide aux Orphelins du Népal (PAON pour les intimes). L’objectif de cette association n’est pas, bien-sûr, d’aider TOUS les orphelins du Népal, mais au moins d’aider ceux-là, voire même d’autres par la suite… Rédaction de statuts, assemblée générale, adhérents, parrainages, site internet, nous sommes passés par toutes les étapes de création, gestion, organisation. Cela aussi a été très formateur et nous a demandé, il faut le reconnaitre, quand même pas mal de temps et d’investissement. Au bout d’une année, nous avions réussi à rassembler une cinquantaine d’adhérents (tous plus ou moins membres de la famille et des amis) et une demi-douzaine de parrainages. Nous avons aussi par la suite lancé des actions : vente de calendriers, intervention dans des écoles, confection d’objets dérivés, marché de Noel. Toutes nos actions n’ont pas forcément été couronnées de succès, mais globalement, l’association s’est développée au fil des années et en 2014, lorsque je suis retournée pour un mois à l’orphelinat pendant l’été, j’ai pu constater les bienfaits de notre action : les virements réguliers que nous faisions à l’orphelinat avaient permis de faciliter grandement le quotidien : il n’y avait pas (ou presque) de retard de loyers, il y avait des réserves de nourriture et les enfants avaient chacun de quoi s’habiller et des fournitures scolaires suffisantes pour aller à l’école. Les enfants avaient grandi, bien-sûr, et profitaient pleinement de l’éducation qu’ils recevaient dans cette grande famille. C’est donc le cœur presque léger que je suis revenue en France, en me disant qu’il fallait qu’on continue à leur apporter notre soutien, parce que vraiment ce qu’il se passait là-bas, était très positif. L’association se portait bien et permettait de les aider régulièrement. Et puis quelques mois plus tard, en Avril 2015, tout s’est effondré. Le séisme, s’il n’a pas détruit l’orphelinat, a rompu l’équilibre instable qui s’était créé autour de ces enfants. A cause des risques de réplique, les enfants ont dormi sous des tentes de fortune à l’extérieur de la maison pendant 15 jours, l’école, en partie détruite, a été interrompue pendant 2 mois le temps de construire des salles de classes en tôles (avec l’aide de l’Unicef), l’approvisionnement a été coupé temporairement, et enfin les prix des denrées alimentaires ont fortement augmenté. L’association a bien-sûr été présente pour les aider dans ces moments difficiles et une aide d’urgence a été envoyée pour pouvoir acheter de l’eau et de la nourriture. Le retour à la normale s’est fait progressivement.

Quelques mois plus tard, après cette catastrophe naturelle, c’est une autre catastrophe humanitaire qui est venue s’abattre sur le pays : un blocus économique de grande ampleur a touché la région de Katmandou. Je ne développerai pas ici les détails de la vie politique népalaise, mais pour en comprendre les conséquences, il faut se mettre dans le contexte d’un pays qui est sorti il y a 8 ans de la guerre civile, dont le peuple est encore en train de panser les plaies, d’un pays dont les dirigeants politiques tentent d’écrire une constitution qui établisse les grandes lignes de cette démocratie, et enfin d’un pays qui, pour ne pas simplifier les choses,  se situe entre deux grandes puissances mondiales, l’Inde et la Chine, qui se partagent à peu près tous les marchés asiatiques, voire mondiaux et qui ont chacun une grande influence sur la vie politique locale. L’équation est donc complexe, voire insoluble pour le moment et laisse le peuple népalais dans la plus grande détresse. Comme dirait Krishna, le directeur de l’orphelinat : « on ne fait que survivre ici ».

Je suis revenue il y a une semaine du Népal, où j’ai pu vivre moi-même les conséquences de ce blocus : pénurie d’essence, de gaz, prix des denrées alimentaires de base qui ont doublé: riz, huile, sucre etc… On cuisinait donc au feu de bois, à l’extérieur de la maison et on faisait comme on pouvait. Pour compléter le tableau, j’ajouterais aussi qu’il n’y a pas d’eau au robinet et de l’électricité que quelques heures par jour. Je ne veux pas dépeindre ici un tableau noir de la situation, c’est tout simplement leur quotidien que je vous décris. On vit avec les contraintes, c’est comme ça, on n’a pas le choix. Une fois qu’on s’y est habitué, on fait avec sans trop se plaindre. On espère cependant retrouver un semblant de normalité quand la situation politique se sera stabilisée (pendant que j’y étais, un accord a été trouvé pour lever le blocus, on peut donc être optimiste).

Pendant ces deux semaines que j’ai passé avec eux, une chose m’a marquée : malgré les difficultés et les catastrophes, les enfants font leur bonhomme de chemin : les garçons ont grandi, muri, les filles sont devenues de vraies jeunes femmes. Tous sont très autonomes à la maison, ils participent efficacement aux tâches quotidiennes, et en plus de ça, ont pour la plupart de très bons résultats scolaires. 4 d’entre eux ont décroché une bourse pour suivre des cours d’anglais approfondi en partenariat avec l’ambassade des Etats-Unis, 1 autre est champion d’échec de l’école. Bref, ils profitent au mieux de l’éducation qu’on leur donne et tirent vraiment bien leur épingle du jeu. C’est l’impression qui m’est restée depuis une semaine : cette fois-ci j’ai pu vraiment constater les fruits de cet engagement moral que j’ai pris auprès d’eux. Il y a 6 ans c’était des enfants un peu perdus, en manque d’affection et de repères, des enfants qui m’avaient bouleversés, aujourd’hui ce sont des ados surs d’eux, qui réussissent à l’école et qui s’épanouissent dans leurs activités, qui donnent leur avis et avec qui on peut avoir des discussions sur ce qu’ils ont appris ou sur ce en quoi ils croient. Je n’ose même pas imaginer à quel point ils auront encore grandi la prochaine fois que je les verrai. Alors même si cela a de nouveau été difficile de m’en séparer samedi dernier, je suis revenue très sereine et avec le sentiment qu’avec l’association on faisait vraiment quelque chose de « bien ».

Alors vous comprendrez à quel point j’ai été heureuse en apprenant que votre équipe d’animation pastorale avait choisi de nous aider à nouveau cette année. Les besoins sont très simples : permettre à des enfants, des adolescents de vivre décemment, de manger à leur faim, d’aller à l’école. D’apprendre un métier afin de devenir un jour autonome. Nul doute que ces enfants à leur tour soutiendront cet orphelinat comme ils le pourront à l’âge adulte. C’est leur « maison », le lieu où ils ont été rendus à leur dignité, nourris, éduqués. Le lieu où ils ont trouvé des adultes pour s’occuper d’eux et leur assurer protection, soutien et bienveillance. L’association PAON se fait le relais de ces adultes en France. Au bout de la chaîne, c’est vous, par vos dons, qui permettez à ces enfants de vivre en toute simplicité une vie digne de ce nom. Merci pour eux. »

Quelques tremblements dans la voix à la fin, mais sinon tout s’est bien passé ;)

Merci à la communauté de paroisse de Metzervisse de m’avoir accueilli !

 

Comme quoi la vaisselle… ça a du bon !

Conversation super intéressante ce soir avec Birendra pendant la vaisselle :)

Tous les autres étant épuisés par leur sortie scolaire de la journée (« hiking day », ils sont allés se balader en périphérie de la vallée de Katmandou, ont fait une marche et un pique-nique partagé puis remarche pour le retour- 5h de marche en tout !), je me suis retrouvée toute seule à faire la vaisselle (alors que seuls 3 d’entre eux ont mangé ce soir, c’est pour dire leur épuisement-et aussi le fait qu’ils ont mangé plein de cochonneries toute la journée à mon avis^^). Bref, mais comme on avait préparé à manger pour 10, ben il y avait quand même plein de vaisselle. J’étais donc en train de laver la vaisselle quand Birendra m’a rejoint pour m’aider. Quand je lui ai demandé si lui n’était pas fatigué, il m’a répondu : « No Sister, you know, in village, always like that ». Il m’a donc expliqué que quand il était petit, dans son village, il marchait toujours beaucoup dans les montagnes, pour aller à l’école par exemple, une demi-heure de marche, à grimper des sentiers super raides. Et a rajouté aussi que le soir en redescendant, c’était beaucoup plus facile, et qu’ils couraient dans les sentiers toujours aussi raides^^ J’ai osé lui demander si il était retourné dans son village depuis le temps (il avait 8 ans je crois quand il est arrivé ici, il en a 14 maintenant), et il m’a dit que l’an dernier, son frère était venu le chercher pour l’emmener dans son village, à 3 jours de bus de Katmandou (à la limite de la frontière ouest avec l’Inde). J’étais super contente pour lui quand il m’a dit ça, parce que la dernière fois qu’on en avait discuté il y a 2 ans de ça, il me disait que sa famille lui manquait trop… Il a donc revu sa mère et son père (très agés par rapport lui), ses frères et tous ses neveux et nièces. Birendra est le petit dernier d’une fratrie de 4 frères et 1 sœur (qui est partie vivre dans la famille de son mari, donc il ne l’a pas vu). Il m’a dit que ses frères et sœurs avaient à peu près mon âge. Je comprends maintenant un peu mieux pourquoi discuter avec lui a toujours été si facile, il a eu l’habitude d’avoir à faire à des gens plus âgés toute son enfance.

Il m’a dit avoir été super content de revoir tout le monde, même si ça avait été super difficile de grimper à pied dans son village, (parce que lui et son frère ont ramené avec eux chacun un sac de 30 kg de riz sur le dos…!) Il a été apparemment très occupé pendant ces deux semaines, pour aider ses parents surtout, qui ont presque 60 ans (un âge déjà avancé pour des Népalais). Il m’a dit qu’ils avaient tué une chèvre pour fêter Dashain (la plus grande fête religieuse hindoue) et qu’ils avaient cuisiné des plats spéciaux. Ses parents possèdent un buffle, ont eu 3 poules mais ils ne leur en restent plus que 2 suite à un vol qui a eu lieu quand il était là-bas. Ils survivent grâce à une culture de subsistance. Ses frères sont tous partis à l’étranger (en Malaisie) plusieurs années pour pouvoir gagner un peu d’argent. Ils y retourneront surement bientôt pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille. Ils laisseront alors femmes et enfants avec leurs parents, pour plusieurs années à nouveau.

Birendra m’explique que lui ne veut pas retourner vivre là-bas (juste pour les voir de temps en temps), il préfèrerait rester sur Katmandou pour pouvoir y travailler. Il n’a encore aucune idée de ce qu’il veut faire, mais j’ai un bon feeling pour son avenir, parce que c’est un élève très sérieux, qu’il est très serviable et qu’il est adorable en plus de cela (bon ça je sais, ça lui donnera pas un job, mais qd mm c’est appréciable :) ). Vous devez peut-être vous dire qu’ici c’est le monde des bisounours parce que je dis toujours qu’ils sont adorables, mais non ce n’est pas vrai pour tous. Les plus grands, Dipesh et Roshan, bien que serviables, sont beaucoup plus égoïstes, ils n’aident que quand ils y voient un intérêt pour eux-mêmes. Sinon c’est parce qu’on leur demande avec insistance ou parce qu’ils y sont obligés. Deepak, lui, est toujours en train de faire le pitre, il aide, mais il faut lui demander. Loké est encore trop petit pour s’affirmer dans quoique ce soit, donc pour l’instant, il ne dit trop rien. Birendra, par contre, prend les devants, se propose pour aider et en plus de ça le fait toujours avec le sourire. C’est super agréable de « travailler » avec lui. Et même ce soir, quand je lui ai demandé si il voulait bien laver les pots qui étaient sur le feu (donc pas définition noir de fumée), il n’a pas rechigné à la tâche (je lui ai dit de mettre les gants que j’avais acheté, et comme ça le faisait marrer de les mettre, il a accepté tout de suite :) ). Pendant ce temps, j’ai pu faire tout le reste la vaisselle et on a eu tout le temps de discuter. Comme quoi, faire la vaisselle, parfois, ça rapproche..

Bref, donc je disais que Birendra voudrait rester travailler sur Katmandou, et il m’a dit aussi que quand il serait assez grand, il irait visiter les villages de ses deux meilleurs amis, dont un aveugle, qui vivent tous les deux dans des « hostels » comme ici. Par « hostels », il faut entendre « maisons pour enfants », je rajouterai que la majorité ou presque de ces enfants sont des orphelins, soit de père soit de mère. Je me demande combien d’orphelinats comme ici existent à Katmandou, je n’ose même pas imaginer le nombre… Birendra, lui, est ici parce que ses parents sont vraiment dans une situation financière plus que précaire. Jusqu’à 8 ans, il a vécu dans des conditions très difficiles avec ses parents. Puis le « Children care center », un organisme qui confie les enfants dans le besoin à une « children’s home » comme ici, l’a repéré et l’a envoyé ici.

Il m’a dit qu’il avait revu aussi ses anciens copains de son village et qu’ils étaient très mal éduqués (il faut entendre par là qu’ils n’ont pas reçu une bonne instruction à l’école, comme leurs parents en fait qui n’y sont peut-être jamais allés). Qu’ils ne parlaient pas anglais mais le dialecte de la région (que lui ne comprend que très peu). Bref, il m’a semblé qu’il a pris en y allant toute la mesure de l’éducation qu’il avait ici. L’hygiène, la nourriture, l’école. Le plaisir d’apprendre aussi. Bien-sûr sa famille lui manque, mais quand il était là-bas, il m’a dit que la maison d’ici lui manquait aussi terriblement. Que tous ici lui manquaient. J’ai trouvé ça touchant comme témoignage. (Moins incroyable que quand Dipesh m’avait raconté -pendant la vaisselle là aussi- que dans son village, leur chèvre avait été dévorée par un tigre et que un de ses oncles avait réussi à tuer ledit tigre…)

Bref, encore une discussion pendant la vaisselle qui a été riche d’informations, qui m’a permis de me rapprocher encore un petit peu plus de l’un d’entre eux… Finalement cette pu*** de vaisselle, à même le sol, à l’eau froide, elle a quand même ses bons moments… Elle va sûrement me manquer…

Grosses courses !

Avant mon départ, on a fait un « drive ». Enfin, pas tout à fait un drive comme on l’entend chez nous, le drive, c’est plutôt à vélo qu’il se fait. On dépose la liste des courses au « Groceries shop », et deux jours après (oui seulement…), ils nous livrent à vélo les sacs de riz et autres. Pour le reste, c’est nous qui le ramenons, soit à pied, soit en vélo (moi j’ai pris l’option vélo + sac à dos, j’étais chargée comme un âne^^). Voici la liste :

-          Riz de moyenne qualité 150 kg : 6000 Roupies

-          Riz de bonne qualité 50 kg : 3400 Rs

-          Lentilles rouges 10 kg : 1700 Rs

-          Lentilles noires  2 kg : 540 Rs

-          Huile de tournesol 10 L : 1480 Rs

-          Huile de moutarde 2 L : 340 Rs

-          Sucre  5 kg : 350 Rs

-          Riz battu 20 kg : 1100 Rs

-          Epices pour riz battu 3 kg : 420 Rs

-          Dentifrice  24 tubes : 912 Rs

-          Savon 24 pièces : 500 Rs

-          Savon pour vaisselle 36 pcs : 330 Rs

-          Lessive en poudre 12 kg  : 450 Rs

-          Lessive en poudre (meilleure qualité) 5 kg : 550 Rs

-           Curcuma 1 kg : 175 Rs

-          Cumin 1 kg : 380 Rs

-          Pois 5 kg : 600 Rs

-          Mélanges de Fèves 3 kg : 390 Rs

-          Grosses lentilles 2 kg : 280 Rs

-          Sesame 500 g : 175 Rs

-          Nouilles chinoises 60 pcs : 960 Rs

-          Œufs 5 douzaines : 560 Rs

-           Biscuits 4 paquets : 440 Rs

-          Farine de blé 5 kg : 240 Rs

-          Produit lavage vitres 3 pcs : 330 Rs

-          Produit WC 6 pcs : 660 Rs

-          Eponges vaisselle 6 : 150 RS

-          Livraison : 100 Rs

Tout ça pour un total de 23500 Rs soit 196 € environ. (1€=120 Rs)

Avec ça, ils devraient tenir un bon mois (voire plus pour certains produits).

Avec tout ça, mon séjour ici touche à sa fin, c’est passé super vite (comme d’hab) mais je crois avoir fait l’essentiel de ce que je voulais faire : passer du temps avec les enfants, profiter du temps scolaire pour faire des achats pour eux et puis faire quelques visites perso (les temples bouddhistes notamment). Je vous en mets quelques photos, vous pourrez constater les dégâts du séisme sur quelques-unes d’entre-elles.

DSC_9052 (Copier) DSC_9053 (Copier) DSC_9054 (Copier) DSC_9058 (Copier) DSC_9061 (Copier) DSC_9065 (Copier) DSC_9085 (Copier) DSC_9091 (Copier) DSC_9094 (Copier) DSC_9096 (Copier) DSC_9102 (Copier) DSC_9105 (Copier) DSC_9108 (Copier) DSC_9112 (Copier) DSC_9113 (Copier) DSC_9114 (Copier) DSC_9115 (Copier) DSC_9118 (Copier) DSC_9119 (Copier) DSC_9125 (Copier) DSC_9136 (Copier) DSC_9141 (Copier) DSC_9151 (Copier) DSC_9153 (Copier) DSC_9157 (Copier) DSC_9161 (Copier) DSC_9165 (Copier) DSC_9168 (Copier) DSC_9197 (Copier)

 

Réflexions…

Je profite de mes moments de pause pour lire un livre de Matthieu Ricard : « Plaidoyer pour le bonheur ».  Aujourd’hui je suis tombée sur le chapitre sur l’altruisme. Je vous en livre quelques passages :

« Comment savoir si une personne dite altruiste n’agit pas simplement pour ressentir le sentiment de fierté que lui procure l’accomplissement d’un geste bienveillant ? En vérifiant qu’elle sera tout aussi satisfaite si quelqu’un d’autre vient en aide. Pour un véritable altruiste, c’est le résultat qui compte, non la satisfaction personnelle d’avoir aidé. (…) Même si tout cela paraît compliqué, on retrouve constamment ces différences de comportement dans la réalité. Les exemples d’altruiste authentique abondent : combien de mères sont sincèrement prêtes à sacrifier leur vie pour sauver leur enfant ? On peut étendre cet exemple, car, dans le bouddhisme, l’altruiste vrai apprend à considérer tous les êtres avec autant de proximité qu’un parent. »

Il donne l’exemple de Maximilien Kolbe, dont certains d’entre vous connaissent bien l’histoire : ce père franciscain qui, à Auschwitz, s’offrit pour remplacer un père de famille lorsqu’en représailles à l’évasion d’un prisonnier, dix hommes furent désignés pour mourir de faim et de soif.

Il parle aussi d’une étude, faite sur des étudiants, qui « confirme que le sentiment d’appartenance influence considérablement la manifestation de l’altruisme. Les gens sont beaucoup plus enclins à venir en aide à un proche ou à quelqu’un avec qui ils ont quelque chose en commun – ethnie, nationalité, religion, opinions- plutôt qu’à un inconnu avec lequel ils ne se sentent aucun lien particulier. »

Ici je repense immédiatement à cette dame qui m’avait dit lors d’un marché de Noel alors que je lui expliquais les objectifs de notre assoc’ : « ah oui mais il y a aussi plein d’enfants en France qu’il faut aider ». Sa réponse m’avait scié, et sur le coup, je n’avais même pas su quoi lui répondre. C’est vrai que beaucoup de gens me demandent : « et pourquoi partir si loin ? ». Tout simplement parce que c’est le Népal est un des pays les plus pauvres de la planète et que, excusez-moi du peu ma bonne dame, mais en France il existe un système social qui, même s’il est loin d’être parfait, prend en charge les enfants orphelins ou menacés. J’en ai des exemples concrets au boulot. Au Népal, et dans d’autre pays pauvres, c’est plutôt l’esclavage des enfants et la vente des jeunes filles qui est de mise.

Je crois qu’on ne peut comprendre cela que si on l’a vu de ses propres yeux. La faim, la pauvreté, la misère… Assis bien au chaud devant son téléviseur, on peut bien-sûr être touché par des reportages qui traitent de ce genre de sujets, mais qu’en reste-t-il ? Quand vous partagez le quotidien avec des enfants qui ont vécu dans ces conditions-là, vous ne pouvez pas éteindre votre écran de télévision et passer à autre chose. Vous êtes dans la réalité de l’instant, dans la réalité de leurs vies. Dans cette réalité de précarité qu’on ne peut imaginer de notre bout du monde.

Bien-sûr lors de mon premier voyage ici, je n’imaginais pas toutes les implications, émotionnelles, intellectuelles, spirituelles qui allaient en découler. Je venais sur place pour voir, comprendre, vivre dans les conditions de vie d’un pays pauvre. Mesurer la différence entre notre mode de vie et la leur. Et surtout essayer de trouver des solutions locales pour aider efficacement. J’ai lu beaucoup de choses sur le bénévolat international, sur l’impact négatif que pouvait avoir ce genre de voyage à caractère humanitaire. Qu’en voulant aider, le plus souvent on mettait les personnes en situation de dépendance vis-à-vis de nous. Que l’impact émotionnel sur les enfants était désastreux, car, lorsqu’on repartait dans notre pays, c’était un nouvel abandon qu’ils vivaient. Je suis consciente de tout cela, et j’essaie le plus possible de faire attention à ne pas justement « faire à la place de » mais d’aider et d’apporter mon soutien moral et notre soutien financier grâce à l’association. L’aide qu’on leur apporte n’est qu’une aide de subsistance, qui leur permet de vivre au quotidien. Mais l’objectif est simplement que ces enfants puissent vivre dans des conditions décentes et être éduqués. D’avoir la chance de faire des études, afin de devenir un jour autonomes. Bien-sûr que la solution devrait venir du gouvernement népalais, mais force est de constater que la maturité politique de cette république balbutiante n’en est pas encore là. Tout cela va prendre du temps. Mais en attendant que deviennent ces enfants ?

Quant à l’impact émotionnel, le fait de revenir ici régulièrement prouve aux enfants, et d’ailleurs ils me le rendent bien, que je suis vraiment dans une relation durable avec eux.  Ils savent que quand je pars, c’est pour mieux revenir. Bien-sûr cela va être difficile de se séparer samedi, parce qu’on a créé de vrais liens d’affection, mais j’essaie de leur faire comprendre, aux plus émotifs notamment (et Mithu en particulier), que la solution pour eux comme pour moi n’est pas que je vive ici. Ils ont déjà des adultes qui les éduquent et qui sont de surcroit de la même culture qu’eux. En cela Krishna et Laxmi leur rendent bien plus de services que moi. Ils sont élevés à la népalaise. Les tâches ménagères, nombreuses et obligatoires, permettent le bon fonctionnement de cette maison où cohabitent 14 enfants et 2 adultes. Et croyez-moi, 14 ados, ça peut vite partir en sucette si on n’impose pas des règles de vie précises. Je le constate depuis mon arrivée ici, ils ont grandi, muri, ce sont devenus de vrais ados, avec leurs lots de sautes d’humeur et d’hormones en ébullition (les garçons s’affirment notamment, en ayant des rapports parfois très durs entre eux). Il faut alors les rappeler à l’ordre, mais reste toujours entre eux cet esprit de compétition, bref, des mecs quoi :)

Pour en revenir au sujet initial de mon article, je conclurais simplement en disant que cette expérience que je vis au quotidien avec ces enfants m’a permis de dépasser cette notion d’altruisme « d’appartenance ». Je n’ai rien en commun avec ces enfants, ni la culture, ni la religion, ni la langue, et pourtant c’est une réelle expérience de partage qu’on vit ensemble. Et si au Népal, les plus jeunes s’adressent aux plus anciens (toutes confessions, castes ou professions confondues) en les appelant « Anti » (tante) ou « Uncle » (oncle) ou encore « Dai » (Grand frère) ou « Bahiini » (petite sœur), c’est bien cette notion d’altruisme véritable qui s’exprime. Ce n’est pas pour rien qu’ici on a l’impression de vite faire « partie de la famille ».

Je terminerais par cette superbe métaphore du Soleil que donne Matthieu Ricard :

« Le Soleil brille également sur tous les êtres, avec la même clarté et la même chaleur dans toutes les directions. Cependant il y a des êtres qui pour diverses raisons se trouvent plus près de lui et reçoivent plus de chaleur. Mais à aucun moment cette situation privilégiée n’entraîne aucune exclusion. Malgré les limites inhérentes à toute métaphore, on comprend qu’il possible de faire naître en soi une bonté telle que l’on en vient à considérer tous les êtres comme des mères, des pères, des sœurs ou des enfants. Une telle bonté ouverte, altruiste, attentionnée, loin de diminuer l’amour que l’on porte à ses proches, ne fait que l’augmenter, l’approfondir et l’embellir ».

Je crois qu’ici, je touche du doigt un tout petit peu de cela…

Les journées passent trop lentement.. et les jours trop vite !!!

Je suis déjà à plus de la moitié de mon séjour ici… C’est incroyable comme le temps partagé avec les enfants peut passer vite. J’ai l’impression qu’entre le moment du lever et leur départ à l’école, il n’y a qu’une minute, et qu’en fin d’après-midi quand ils rentrent, le temps se contracte à nouveau. J’y vois ici la preuve irréfutable de la théorie de la relativité générale d’Einstein (oui j’ai pas besoin des ondes gravitationnelles moi ;) ).

Entre temps, je m’occupe pour faire passer le temps plus vite : des courses bien-sûr, de la lessive un peu, de la comptabilité aussi (oui Audrey, tous les comptes sont à jour et j’ai récupéré le plus possible de factures ! ). Du coup, les journées sont bien chargées, et maintenant que je me suis mis à l’heure népalaise, je dors à peu près en même temps que tout le monde (mais du coup, j’ai moins le temps d’écrire la nuit, désolée pour les addicts ;) ).

Je viens de passer la fin de journée dans la chambre des filles pour les aider à finir leurs devoirs : Rubina avait une rédaction à faire sur les scouts, Mithu devait finir ses exos de sciences, Kusum apprendre ses formules de géométrie. Elles en profitent pour me raconter un peu leurs vies aussi.

Je ne vous ai pas encore beaucoup parlé de Kusum : c’est une jeune fille de 17 ans, qui est arrivée ici il y a quelques mois (4 ou 5, mais je n’ai pas réussi à avoir de date exacte, parce que vous savez, au Népal, c’est toujours du « à peu près »…). Elle est originaire de la vallée de Katmandou, sa mère habite à une grosse demi-heure d’ici. D’après ce que j’ai compris, ses parents se sont séparés (ou devrais-je plutôt dire : son père s’est barré avec une autre) et a laissé sa mère sans ressources (sympa). Il a eu un autre enfant avec sa nouvelle compagne et ne gardait Kusum chez lui que pour s’occuper du bébé. Voyant que ça nuisait aux études de sa fille, sa mère a demandé à Krishna (par des intermédiaires) de bien vouloir la prendre chez eux. Elle ne devrait rester que jusqu’à la fin de l’année scolaire, soit dans deux mois, histoire de finir l’école obligatoire. Après elle devrait continuer ses études plus près de chez sa mère et a l’intention de travailler pour pouvoir payer ses études d’infirmière.

Encore une fois, tout ça n’est qu’hypothétique, car je sais bien qu’au Népal, tous les plans changent toujours jusqu’à la dernière minute. C’est ainsi pour les sorties scolaires, les rdv chez le médecin, le départ des bus et j’en passe. C’est un peu relou à force et je n’ai pas encore eu le temps de m’y habituer. Ca me pesait moins la dernière fois j’ai l’impression… C’est peut-être simplement parce que je vieillis :) Ou peut-être aussi parce que je me sens tellement impuissante face à tout ce qui se passe ici… La situation politique, économique, la pollution, le manque d’éducation… Tout est fait pour que cette situation perdure encore un certain nombre d’années… Encore hier, je discutais avec le frère de Krishna et sa femme qui vont surement émigrer en Australie parce qu’ils ne voient pas d’avenir au Népal. Ou encore ce cousin de Krishna qui est venu passer un entretien d’embauche pour Dubai… Tant de jeunes gens quittent le pays en espérant trouver mieux ailleurs… mais qu’y trouveront-ils ? De meilleures conditions de vie ? Rien n’est moins sûr…

Bref, pour en revenir à Kusum, elle veut donc devenir infirmière, et devrait quitter l’orphelinat bientôt. Tant mieux pour elle, si elle trouve effectivement un travail qui lui permette de poursuivre ses études. Tant pis pour les filles qui vont perdre avec elle une grande sœur mature et très altruiste. Je crois que ca a fait du bien à Rubina qu’elle arrive ; depuis le départ de Sushma, je la trouvais un peu isolée.

En parlant de Rubina d’ailleurs, nous avons discuté avec Krishna de sa poursuite d’études. Alors déjà il semblerait qu’il y ait eu un quiproquo entre Rubina et moi la dernière fois : Rubina ne termine pas cette année sa scolarité obligatoire, mais l’an prochain. Et en ce qui concerne sa poursuite d’études, Krishna est d’accord avec moi, si sa mère la laisse ici, l’objectif est qu’elle poursuive au moins de deux années, pour ensuite se spécialiser. Krishna lui a conseillé de réfléchir à des études d’infirmière, je pense que c’est une bonne idée. C’est un projet faisable au Népal pour une jeune fille et quant aux frais des scolarités, Krishna me dit qu’il pourra peut-être obtenir au vu des bons résultats de Rubina une sorte de bourse au mérite. Je lui ai dit que quoi qu’il en soit, nous on serait là pour l’aider à payer ses frais de scolarité. Il ne reste plus qu’à voir si la famille de Rubina la laisse ici ou non. Comme me disait Krishna, elle a bientôt l’âge d’être mariée… J’ai dit : « Bien-sûr, bien-sûr » tout en ayant des frissons dans le dos… CA ME REND DINGUE !!!  Bon bref, de toute façon, ça ne sert à rien de s’énerver, on va croiser les doigts pour qu’il n’y ait pas un vieux cousin dans la famille de Rubina qui ait besoin d’une jeune épouse… Entre nous, je pense que si c’était le cas, Rubina serait déjà retournée dans sa famille… Et je crois que je comprends un peu mieux maintenant pourquoi Rubina m’avait dit la dernière fois : « you have to come back before two years, because if not I will maybe be gone ». Elle me l’a ressortie cette semaine, je crois qu’elle a tout à fait conscience de ce qu’il peut se passer pour elle et je crois qu’elle n’a aucune envie de retourner dans son village. Elle sait aussi cependant que du jour au lendemain, toute sa vie ici peut s’arrêter. Et je retrouve ici sa citation préférée : « We never know what future will be, right ? » No, Rubina, we never know…

Donc en fait la conclusion c’est quoi ? C’est que Krishna et moi on est d’accord sur la poursuite d’études de Rubina, mais que celle-ci ne se fera qu’à condition que Rubina soit effectivement encore à l’orphelinat pour poursuivre ses études… Vous voyez le verre à moitié plein vous ? Moi oui. Parce que ce qui est valable pour Rubina, l’est aussi pour Roshna, pour Birendra, pour Yeshoda et pour tous les autres. Tous, s’ils restent ici, auront la chance de pouvoir poursuivre leurs études, en fonction de leurs capacités et de leurs choix. Tous ne feront pas des études supérieures, comme pourra, je l’espère, en faire Rubina. Mais tous auront au moins la chance de continuer à aller à l’école tant qu’ils en auront les capacités. A condition bien-sûr que leurs familles ne les récupèrent pas entre temps. En ce sens, je pense d’ailleurs que les « vrais » orphelins parmi eux sont finalement les plus chanceux. Personne ne viendra interrompre leurs études, pour les faire travailler dans les champs ou pour les marier à je ne sais quel oncle ou cousin. C’est la terrible réalité de ces enfants-là… Alors croyez-moi, ce ne sont pas quelques tâches ménagères qui leur font vraiment peur. Ce qui leur fait vraiment peur, au fond, c’est de partir d’ici… Il suffit de voir la tête de Muna, la petite dernière, quand on lui parle de son village…