Dernier bilan…

Et voilà, c’est fini… Ca fait presque 3 semaines que je suis rentrée… Je tenais à écrire un dernier article de bilan, pour moi-même mais aussi pour quelques-uns de mes lecteurs (ou lectrices, n’est-ce pas les filles ?!) qui se demandent peut-être quel est mon ressenti après tout ça… Déjà, il faut que je vous explique pourquoi je ne l’ai pas écrit plus tôt, cet article, et pourquoi je n’ai pas non plus mis de photos en ligne comme je vous l’avais promis… La raison est simple : je n’y arrive pas ! Je n’arrive pas à en parler en détails ni à y penser sans avoir les larmes aux yeux et la gorge qui se serre… Je n’ai pas encore réussi à regarder ne serait-ce que quelques photos… Alors jusque là, j’utilise la technique (non validée par mon hémisphère gauche) de l’autruche : je me contente de refouler ces émotions au fin fond de moi-même et je gère au quotidien mes petits problèmes d’occidentale : m’installer dans mon nouvel appart, faire des achats, organiser des rendez-vous à gauche à droite avec les administrations et voir tous mes amis et ma famille. Et ça m’occupe à temps plein croyez-moi… Enfin je m’arrange pour être occupée à temps plein plutôt, histoire de ne pas avoir à affronter cette réalité, au fond, qui m’angoisse… Alors pour ne pas sombrer dans la déprime, je vais me contenter de reprendre mes trois bilans habituels :

-          Bilan relationnel tout d’abord : bon ben comme vous l’aurez compris, ils me manquent terriblement… Par « ils », j’entends les enfants bien-sûr. Avec qui j’ai essayé de prendre de la distance lors de ma dernière semaine là-bas, mais venant de passer plusieurs mois ensemble, 24h/24, 7j/7, comment aurais-je pu efficacement prendre de la distance ?! J’ai « délégué » aux espagnoles les petites habitudes du matin et notamment le schmirrage de crème avant de partir à l’école, mais bon, c’est toujours vers moi que venaient les « blessés » : un pansement par-ci, un nettoyage de plaie par-là… sachant pertinemment que le jour où les espagnoles partiraient elles aussi, plus personne ne s’occuperait de ça… Les adultes népalais n’ont jamais eu l’habitude de nettoyer leurs propres plaies, comment pourraient-ils en prendre l’habitude pour les enfants… ?

Au moment où j’écris cet article, je me demande comment va chacun d’eux, je sais qu’il y a une nouvelle bénévole française, très gentille d’après Krishna, tant mieux. Pour autant, j’aimerai plus de détails : Deepak arrive-t-il à faire tout seul ses divisions ? Purna s’est-il encore fait pincer par le chien ? Niraj a-t-il bien nettoyé ses oreilles ? Mithu arrive-t-elle à comprendre ses énoncés ? Et bien d’autres questions encore que je me pose au quotidien et que je n’ai pas encore posé à Krishna parce que je sais pertinemment sa réponse : « here everything is allright, don’t worry ».  Non mais moi je veux des détails ! Même si ce sont des détails qui n’intéressent personne, ils m’intéressent moi ! J’ai encore envie de savoir au jour le jour leurs difficultés, leurs progrès, leurs petits bobos… Je ne suis pas encore sevrée d’eux, ça, c’est sûr… Je vais écrire à chacun je pense, une vraie lettre, écrite à la main, personnalisée, avec toutes les petits choses qu’on a partagé quand j’étais avec eux… Qu’ils sachent que je ne les ai pas oubliés et que je pense à eux chaque jour… Plus j’y pense et plus ils me manquent en fait, la technique de l’autruche finalement c’était pas si mal…

 

-          Bilan matériel ensuite : pendant les dernières semaines avant mon départ j’ai acheté à peu près tout ce que je pouvais pour assurer leur « survie » pour les prochains mois. Avec l’aide de vos derniers dons, j’ai pu faire : les grosses courses pour au moins 1 mois, acheter plein de fournitures scolaires, remplir les jerricans de kérosène, payer un mois de loyer d’avance, rhabiller tout le monde en fonction des besoins (des chaussures pour les uns, des tee-shirts pour les autres…). Bref, j’ai cassé la tirelire de mes dernières roupies. Sur ce plan-là, je suis satisfaite, il n’y a pas eu de gaspillage. Ils devraient avoir de quoi tenir un bon mois, en attendant d’avoir d’autres bénévoles qui les aident. Je sais pertinemment cependant que l’aide de quelques bénévoles de passage ne suffira pas, et comme me l’a dit Laxmi avant mon départ, jusqu’ici aucun bénévole ne les avait aidé autant, financièrement parlant. Je le sais bien, c’est bien pour ça que j’avais décidé d’imprimer les calendriers l’an dernier… Pour autant je n’ai pas eu la sensation d’être une « vache à lait » pour eux… Bien-sûr au final j’ai dépensé une somme substantielle, mais comparée aux dépenses que j’aurai eu en France sur la même durée, ça me semble juste tout à fait normal. Et c’est vraiment hallucinant de se dire qu’on peut faire vivre une famille de 15 personnes au Népal avec un demi-salaire français… et quelques dons bien-sûr, merci les amis ;)  Et puis même, financièrement, ça s’est plutôt bien passé pour moi, parce qu’en revenant en France, je suis tout à fait capable de faire face à mes charges de logement, de transport etc… Bon, j’ai des réflexes d’économies qui ne vont pas me lâcher de sitôt, mais ça, ça devrait m’aider en attendant de retrouver mon salaire à 100% :) Et puis la deuxième raison pour laquelle je ne regrette rien, c’est que toutes les dépenses que j’ai fait ont été des dépenses nécessaires et indispensables. Au moins, pendant ces 5 mois, Krishna et Laxmi n’ont pas eu à quémander à leurs amis et à leurs familles pour survivre. Krishna, lui, a l’air de gérer ce stress des dépenses du quotidien avec beaucoup de philosophie (comme je vous l’avais déjà dit), mais Laxmi, elle, elle stresse en permanence, en voilà une qui ne va pas faire de vieux os, ça, c’est sûr… Alors pour continuer à les aider efficacement depuis la France, et parce que je leur ai promis à tous que j’allais continuer à veiller sur eux, même de loin, j’ai l’intention d’ouvrir une asso qui me permette de récolter un peu d’argent pour eux (ne serait-ce que pour payer le loyer) et dès qu’elle sera créée, je vous tiendrai au courant, si vous voulez m’aider à les aider… D’ailleurs si vous avez déjà des conseils ou des idées, je suis preneuse, et au grand jeu-concours intitulé « Recherche du nom de l’asso », je vous annonce que le prix sera… ma gratitude éternelle !?! (Et si ça pouvait être un jeu de mots contenant le mot Népal et l’aide aux enfants, ça serait top, merci ;) )

 

-          Bilan psychologique enfin : Heuuu, ben, ça dépend des jours… Parfois je sombre dans la tristesse la plus profonde à l’idée de les avoir laissés, tout en me disant que de toute façon je ne pouvais pas rester là-bas indéfiniment… Parfois je me dis que je suis contente d’être rentrée, parce que j’aime aussi ma vie ici, j’ai retrouvé ma famille, mes amis, la Moselle et Nancy, j’ai tout ce qu’il faut pour être heureuse ! Sauf que j’ai la sensation d’avoir laissé mon ventricule droit à l’autre bout du monde…

J’ai du mal aussi à répondre aux questions des gens qui me revoient pour la première fois : « Alors c’était comment le Népal ? » ben, comment dire, c’est difficile à résumer 5 mois, là, comme ça… Et puis de toute façon, j’arrive pas vraiment à en parler, je parle des différences culturelles, mais jamais jamais je n’arrive à parler des enfants. La rupture a juste été trop brutale le jour où je les ai quittés… Oh j’ai des nouvelles, bien-sûr, mais ça n’a rien à voir avec l’intensité de ce qu’on a vécu ensemble… Vous ajoutez à ça le changement de rythme de vie, de culture et d’occupation au quotidien, et vous pourrez peut-être comprendre pourquoi j’ai du mal à en parler… Mais je n’ai pas l’intention de m’en plaindre, je le savais avant de partir, c’est un simple constat, amer et déprimant, avec lequel je vais devoir composer dans les mois à venir. Et puis entre nous, si je n’étais pas revenue dans cet état là, c’est qu’en réalité cette expérience ne m’aurait pas apporté tout ce que j’en attendais, et finalement la déprime qui me guette ici n’est que le pâle antagonisme du bonheur que j’ai éprouvé là-bas…

 

Pour conclure, je rajouterai enfin que cette expérience m’a permis de découvrir des choses sur moi-même, la plus importante étant le fait que je me sente tout à fait capable à présent d’élever une famille nombreuse. Cela dit, je ne suis pas sûre d’en avoir tout à fait envie, d’élever une famille nombreuse^^ parce que les enfants, ça vous bouffe vraiment tout votre temps :) Mais pour y avoir participé là- bas, dans cet orphelinat, je peux vous assurer que ça justifie pleinement tous les efforts financiers, matériels et organisationnels que j’ai pu consentir avant mon départ. Je ne regrette pour rien au monde d’y être allée et j’y retournerai, encore et encore. Et à la question que beaucoup d’entre vous me posent : «  Et c’est quand que tu y retournes ? ». La réponse émotionnelle est «demain », la réponse pragmatique est « je ne sais pas encore, mais j’ai comme projet d’y retourner d’ici 2 ans je pense… ». Et pour vous faire cette réponse j’essaie de mettre en veilleuse cette autre phrase de Rubina que j’ai lue à l’aéroport et qui a achevé de déchirer ce qu’il restait de mon coeur : « And please come back, as soon as possible »…