Paani Paani !

L'orphelinat et les enfantsVoilà une semaine que je suis à l’orphelinat, une semaine pour me remettre du décalage horaire, pour m’acclimater, pour observer et pour trouver ma place ici. Et je crois bien que je l’ai trouvé. Je donne un bon coup de main pour les tâches ménagères (j’ai réappris la cuisine népalaise, je retrouve les joies des lessives à la main), j’emmène les enfants à l’école, je les aide à faire leurs devoirs (et je réapprends le népali), j’apprends des jeux népalais, et j’ai retrouvé mon rôle de robinet.

Que je vous explique : ici, il n’y a pas d’eau courante, on a trois sources d’eau : 1 puits (n°1) peu profond qui donne de l’eau limpide mais en faible quantité (surtout en cette période sèche précédent la mousson), 1 puits (n°2) qui donne de l’eau à la couleur très douteuse mais en quantité ; et 1 tank placé sur le toit de l’orphelinat, qui alimente le robinet de la cuisine et celui de la salle de bains du haut. Cette eau est « drinkable » d’après Laxmi, mais je vous avoue que je n’ai pas essayé de la boire,[correction après avoir vu comment la cuve était remplie, il n’y a aucune chance que cette eau soit buvable !], donc je me contente pour l’instant de boire de l’eau minérale, et, pour ne pas trop acheter de bouteilles en plastique qui polluent énormément (je reparlerai dans un autre article de la gestion -ou plutôt non gestion- des déchets…), je fais bouillir de l’eau du robinet de la cuisine. Pour l’instant, je ne suis pas malade, touchons du bois. Bref, donc pour la cuisine, on utilise l’eau du tank, pour la vaisselle, l’eau de puits n°1 si il y en a assez (ce qui n’est jamais le cas, en fait..), et l’eau du puits n°2 pour le reste de vaisselle (pour l’hygiène, bof bof…), la lessive et le lavage des sols. Autant vous dire que les habits ne sont jamais très propres, mais tout est relatif ici.

Kathmandu est une ville très polluée, dans l’air et dans le sol. Donc quand vous passez une journée dehors, vous rentrez chez vous plein de poussière et les poumons noircis, sauf si comme la plupart des gens, vous portez un masque. Je vais d’ailleurs m’en acheter un, parce que pour l’instant avec mon cheche, je ressemble plutôt à un taliban qui se serait perdu loin de chez lui ! Bref, c’est très pollué, à cause d’une circulation très dense qui soulève beaucoup de poussières sur les routes pas toutes goudronnées. C’est vraiment très, très pollué. Kathmandu étant dans une vallée enclavée entre les montagnes, il y a un smog permanent. Au bout de 2 jours, les affaires dans ma chambre étaient recouvertes d’une couche de poussière noire, depuis j’ai fermé les fenêtres et je ne les ouvre plus…

Bref, revenons donc à mon rôle de robinet. J’ai complètement digressé là… (d’une manière générale, j’ai 10 000 choses à vous raconter, donc je vais surement digresser souvent, ne m’en veuillez pas:-) ). Donc quand les enfants ont fini de manger, ils viennent chacun laver leur assiette derrière la cuisine à l’extérieur. Et ils ont besoin d’eau pour rincer. C’est là que j’entre en jeu. Pourquoi me direz-vous ? Ben essayez simplement de faire la vaisselle sans robinet mais avec une petite cruche de 200 mL que vous remplissez en puisant dans un seau. Vous verrez comme c’est galère. Ah oui et j’oubliais, la vaisselle, elle se fait à même le sol, qui est sale, donc vous ne pouvez pas poser votre assiette par terre. Vous visualisez bien là ? Il y a 2 ans déjà, je me disais, nan mais attends, c’est pas possible de faire la vaisselle comme ça, il leur faut un robinet. Donc j’ai commencé à leur verser de l’eau pour rincer, et il s’avère que c’est plutôt efficace (ça permet d’en économiser) et c’est bien plus rapide comme ça. (Vous me direz, il suffit d’installer une pompe et un évier et c’est réglé… mais n’oubliez pas qu’on est au Népal ici…) Donc maintenant je donne de l’eau pour rincer la vaisselle, pour se brosser les dents (je reparlerai de l’hygiène dans un autre article sinon je vais vraiment digresser..), pour se laver les mains et les pieds, en gros dès qu’il y a besoin d ‘un robinet quoi… « Paani, paani, Miss, please ! », ce qui signifie « de l’eau, de l’eau, stp ! ». Ce matin, j’ai cru que j’allais leur dire comme dit ma sœur Emma à ses petits : « Je n’ai que 2 bras ! ».

Bref, tout ça se passe dans la plus sympathique des ambiances, les enfants sont sortis de leur timidité, on rigole bien, ils se moquent un peu de moi quand j’essaie de parler népali, mais ils m’aident bien, en échange je corrige leur anglais, et puis je les fais réviser. J’ai réappris à faire des tresses aussi. Je soigne des petits bobos. Certains me prennent par la main pour aller à l’école. On a beaucoup joué pour l’instant, car il y a eu deux jours de grève des profs (qui manifestent parce qu’ils sont vacataires depuis des années à ce que j’ai compris, et qu’ils voudraient qu’on les titularise… Finalement, les problèmes sont les mêmes partout, mais ça j’en reparlerai dans un autre article…). Du coup, c’était vraiment l’occas’ de se rapprocher des enfants. Ils sont super bons aux échecs (je me suis pris une raclée !) et d’une manière générale à tous les jeux auxquels on joue, le badminton, la corde à sauter, les jeux de carte (ils apprécient bien le jeu de 7 familles d’ailleurs, K, merci ! ) et bien d’autres encore. Je les retrouve comme je les avais quittés la dernière fois. Enfin pas tout à fait… En mieux. La petite Sushma m’a demandé l’autre jour combien de temps j’allais rester cette fois-ci et quand je lui ai répondu : « Five months », elle a eu l’air surprise, alors je lui ai dit : « Do you think it’s too long or… ? » alors elle s’est exclamée dans un grand sourire : « No, no, five months is good, good ! ». Et je suis d’accord avec elle.

Call me Jyoti

[article écrit vendredi soir, mais pas de wifi avant lundi, donc léger décalage désolée !]

Ok, voilà 3 jours que je suis arrivée. Par quoi commencer ? Les péripéties de mon départ peut-être, ça pourrait être un bon début. Roissy, mercredi, 19h30, une journée parfaite pour un départ parfait, quoique l’au revoir aux parents sur le quai de la gare a été un peu rapide, à peine le temps de monter mes bagages dans le train, que le contrôleur sifflait déjà, une petit bise à chacun et c’est parti. Les larmes de ma mère à travers la fenêtre, mais ça ira maman, t’inquiète pas, 5 mois c’est pas si long. De quoi quand même me faire écraser deux ou trois larmes moi aussi, j’aime pas voir Maman pleurer.

Arrivée à Roissy, chargée comme un âne, ou plutôt comme une SDF qui promène toute sa vie sur un chariot, je déjeune avec P, super, de quoi se raconter nos vies et celles des autres, ça faisait longtemps qu’on s’était pas vu. Puis aprèm avec C à sauvegarder toutes les données de mon disque dur, à se raconter nos vies (encore) et à prévoir sa venue à l’orphelinat dans 2 mois de ça. Puis on va au guichet d’enregistrement. Passeport, billet, ok. « Vous allez au Népal ? ok, jusque quand ? le 20 juillet ?! mais c’est plus que le visa max de 90 jours ça ! Ca va pas être possible ! » « Hein, quoi ? comment ça ? la durée max c’est 150 jours, j’ai vérifié, et moi je pars 148 jours exactement ! » « Moi je vois un visa max de 90, on ne peut pas vous laisser partir si c’est ça ! Attendez je vais voir avec ma collègue… » Un ulcère à l’estomac plus tard, je la suis voir sa collègue, qui lit les petites lignes en astérisque sur la durée des visas au Népal : 90 jours au max pour un visa initial, et une prorogation possible de 2 fois 30 jours, donc 150 jours au total. Il est où le problème ?! « Ben le problème, c’est que vous n’avez pas le visa initial de 90, donc on sait pas si ils vous le prolongeront ! » « Mais je le prends à Kathmandu le visa de 90 jours (CONNASSE !) » « Oui mais rien ne vous dit qu’ils vous le donneront, vu que votre date de retour est dans 148 jours, sans visa initial, je peux pas vous laisser partir » Alors là j’hallucine, parce que d’une, lors de mon premier voyage là-bas, l’obtention du visa à Kathmandu n’avait posé AUCUN problème, et de 2, je n’ai lu NUL PART (et pourtant j’ai lu le site de l’ambassade de France au Népal en long, en large et en travers…) qu’il fallait un visa initial pris en France par courrier, pour prolonger une fois là-bas, c’est quoi ces conneries ?! Et je fais quoi, moi, si je peux pas partir ? J’attends deux semaines d’avoir le visa par courrier, et je prends des nouveaux billets ? Non mais elle se fout de ma gueule ou quoi ?! Finalement, la collègue dit que c’est bon pour elle, la blondasse me valide mon billet, tout en me disant : « Si pour ma collègue c’est bon, ça me va, vu qu’elle connaît mieux la compagnie que moi, elle ne risquerait pas de faire payer une amende à la compagnie, si votre visa n’était pas accordé ». Ah ouais, ça me rassure vachement ce que tu me dis là, tu veux dire que je pourrais être coincée à l’aéroport sans pouvoir rentrer dans le pays alors ?! C’est mieux que d’être coincée à Roissy ça, franchement ? Je sens le deuxième ulcère se former là… Bref, je vous passe les détails du gros flip, du tournage de scénario dans ma tête dans une prison de Kathmandu pour défaut de visa, et de toutes les solutions imaginées par C et moi. Il y en a une qui tient bien la route, celle de prendre un billet Kathmandu-New Delhi avant les 90 jours du visa max, pour que je puisse prouver que j’ai un billet retour qui soit inférieur au visa max initial. Mais bon, franchement, on MARCHE SUR LA TETE quoi !

Bref, je décolle donc, complètement flippée, C. me rappelle juste avant en me lisant les conditions d’obtention d’un visa sur le site de l’ambassade, ça ne semble pas poser de problème, il faut juste pouvoir prouver au moment de la 2eme prolongation de 30 jours que vous avez un billet retour avant les 150 jours…ce qui est mon cas ! Et me voilà 10h dans un avion, dans une position inconfortable, des films pourris et un mec 2 rangs derrière moi qui tousse en permanence. L’envie de l’étouffer avec mon coussin aussi. C’est le plus loooong voyage de ma vie…

Arrivée à New Delhi, vous vous demandez si ils vont vous laisser passer eux aussi, mais le problème cette fois-ci n’est pas le visa, mais le fait qu’ils ont vu un briquet en passant votre sac aux rayons : « Lighter, lighter ! » « No, no I don’t have a lighter » « Lighter, lighter ! ». Ce connard me fait donc vider TOUT mon sac, qui contient 8 kilos d’affaires, des sous-vêtements de rechange au cas où ils perdent mes valises à tout mon petit matériel électronique. Une fois déballé, ça prend une place folle sur son comptoir, il regarde tout en détail, à la recherche du fameux briquet… qu’il ne trouvera jamais. Sans bien-sûr s’excuser de m’avoir fait tout déballer… CONNARD ! Ils ont vraiment décidé de se liguer pour pourrir mon voyage en fait ?!

J’ai 3h à tuer dans l’aéroport, je zone un peu, mais je suis épuisée (j’ai quasiment pas dormi de la nuit), je lis un peu mon Lonely Planet, partie « Visas ». Ca colle avec ce qui est dit sur le site de l’ambassade, 150 jours max… Je trouve finalement des transats dans la salle d’embarquement. Yes, je vais pouvoir m’allonger un peu… Je dors une bonne heure et demie, avec sac et veste accrochés à moi, je fais vraiment manouche. Qu’importe, personne ne me connaît ici, et quand bien même…

Je me réveille prête à affronter les agents de l’immigration népalaise, j’ai déjà mon argumentaire en tête, in english of course. Une heure plus tard, j’arrive à KTM, je remplis les formulaires (qui datent de 2011^^), je passe au guichet des visas : « How long do you stay ? » « 148 days exactly but I want a visa of 90 days » « ok, ok ». Même pas le temps de sortir la première phrase de mon argumentaire, je suis presque déçue… Donc voilà, 5 minutes après avoir atterri, vous avez votre visa en poche et vous récupérez vos valises, nickel. Tout en insultant intérieurement la blondasse/connasse de Roissy qui vous a fait, quand même, bien flipper.

En sortant de l’aéroport, je vois à travers la vitre Laxmi toute pomponnée qui saute en me faisant des signes du bras, cool ils sont là. Pas que j’en doutais hein, mais le voyage a été tellement pourri que ça aurait pu continuer… Mais non, il semblerait que la poisse m’ait quitté, peut-être bien en arrivant au Népal. Je les retrouve avec plaisir, Laxmi me dit qu’elle m’a à peine reconnu parce que je suis toute blanche et qu’elle trouve que j’ai grossi depuis la dernière fois, elle utilise même le mot « fat », sympa :-( !  Je lui explique qu’effectivement j’ai repris du poids après mon retour du Népal et que j’ai profité du dernier mois pour prendre un peu de poids en prévision, elle n’a pas l’air de comprendre pourquoi, je n’insiste pas. Je lui dis aussi que je n’ai pas trop eu l’occasion de bronzer ces derniers temps, parce que chez nous, il fait super froid en ce moment, rien à voir avec les 25°C d’ici. « It’s freezing in France, really ? » « yeah, definitely ! » On traverse Kathmandu pour rejoindre l’orphelinat, dans un mini taxi où mes valises tiennent à peine et où je touche quasiment le plafond. Enfin, un taxi népalais quoi… Le chauffeur, comme tous les népalais, fait preuve d’une adresse incroyable, entre gérer le flot de voitures et camions et appuyer sur son klaxxon. Je retrouve dans un sourire la circulation de Kathmandu, c’est un joyeux capharmaüm, quand même… Mais à travers le smog, on voit tout de même les sommets enneigés, au loin. Krishna me dit que les enfants sont tout contents de me retrouver, moi je me demande si ils vont me reconnaître, « Yes, of course, they call you Miss Jyoti, don’t you remember ? » How could I forget that, seriously ? Un prénom népalais que Surya (qui m’avait accueilli lors de mon premier séjour au Népal) m’avait donné, ça signifie Lumière du Soleil en népali, classe non ?!

On arrive donc, j’ai hâte de les retrouver, ils m’attendent chacun avec une fleur magnifique, dont je ne connais pas le nom, qu’ils m’offrent un par un, rangés comme si ils allaient à l’école : « Namaste Miss Jyoti !». J’ai envie de jeter les fleurs et de les prendre tous dans mes bras, mais non, ça ne se fait pas au Népal, ou en tout cas, pas comme ça. J’ai droit aussi à un collier d’œillet d’inde, magnifique, et un tika énorme en signe de bienvenue. Je souris et je ne sais pas quoi dire à part : « I’m so happy to be with you again ! ». J’ai passé tellement de temps à réfléchir à cette histoire de visa que je n’ai même pas réfléchi à ce que j’allais dire au moment où je reverrai les enfants… Je prends des nouvelles de chacun, mais pour l’instant, ils sont très timides, laissons le temps au temps… Krishna monte mes valises dans « ma » chambre, ça y est, Jyoti is back !

Bien arrivée !!

Namaste everyone !

Je suis bien arrivée à Kathmandu ! Je vous donne plus de détails plus tard (parce qu’il y en a plein à donner, j’ai failli pas décoller de Roissy…). J’arrive à capter un réseau wifi depuis l’orphelinat, enfin quand il y a du courant quoi.. donc je pourrais donner des news assez souvent je pense !

Des bises à tous, merci pour vos commentaires, vous voulez me faire pleurer ou quoi ?! Et votre club, c’est un club de soutien aussi ?! Tu me dis, Emma, si tu récoltes des fonds, on sait jamais :-)

J-1, H-21…

Bon, ca y est, c’est le départ… Mon sac est bouclé, j’ai mon passeport, ma carte bleue.. et 28kg de bagages. Prête à partir pour 5 mois au Népal, riche de tous vos encouragements, vos messages et vos témoignages de soutien. Il ne me reste plus qu’à vous dire merci. Merci à ceux qui m’ont soutenu pour l’organisation de ce projet extraordinaire, qui m’ont hébergé gracieusement, m’ont invité à déjeuner, dîner, prendre un thé, etc… durant ce dernier mois. Je sais que je ne pars pas seule, les uns m’accompagneront dans leur pensée, les autres dans leurs prières, à chacun son truc tant que c’est efficace :-) Les derniers auront remarqué que ma date de départ n’est pas quelconque, demain on est le Mercredi des Cendres. Le début du Carême pour les cathos parmi vous, le début de “mon” carême à moi. 40 jours au désert qu’il a fait ?! pff la blague, qu’il vienne rivaliser avec 150 jours au Népal sérieux !

Plus sérieusement, c’est une totale coïncidence. Quand j’ai pris mes billets il y a 6 mois de ça, j’ai choisi un jour au milieu de la 2eme semaine des vacances scolaires, me disant que si j’avais un remplacement, il me faudrait au moins 10 jours pour organiser la paperasse et faire mes valises. Et j’ai été plutôt bien inspirée… Cela étant quand j’ai constaté il y a quelques semaines que ça tombait pile ce jour là,  j’ai trouvé que c’était un sacré clin d’oeil… ou plutôt clin Dieu devrais-je dire. J’aime bien cette expression, elle me fait sourire :-)

Alors voilà, je pars pour 150 jours de “Carême”, un temps pour donner du temps aux autres, mettre ses petits besoins de côté et essayer de changer les choses, à mon échelle, humblement. J’ai dit que j’allais essayer, je ne suis pas là pour donner des leçons, croyez-le bien.  Et je vous embrasse tous bien fort, vous allez me manquer, ça ne fait aucun doute.  Mais promis, je vais tâcher de kiffer. Grave.

Réflexions avant le départ

Avant de partir, j’aimerais prendre un peu de temps pour répondre à cette question qui m’a été posée tant de fois : Pourquoi ? Pourquoi partir à l’autre bout du monde pendant des mois pour faire du bénévolat ?

Si je vous la faisais courte, la réponse serait : et pourquoi pas ?

Pour donner quelques éléments de réponse (et je pense que je pourrais en apporter d’autres au cours de mon séjour là-bas), voici en résumé les raisons qui ont abouti à ce choix : une situation professionnelle qui, au bout de quelques années, stagne déjà… et qui ne verra, à court terme, aucune évolution (bien malgré moi); une situation personnelle qui a connu un changement radical et qui a, entre autres, profondément changé mon regard sur moi-même et sur les autres ; et enfin, depuis bien longtemps, ce souhait endormi de faire de l’humanitaire, un jour, ailleurs. Vous expliquer cette envie là me paraît difficile, mais elle m’est apparue comme une évidence au cours des trois dernières années.

Pour comprendre, mettez-vous à ma place. Vous êtes prof de physique-chimie depuis 4 ans, un job que, malgré des conditions de travail pas toujours évidentes, vous kiffez. Grave. Vous enchaînez des remplacements, pas toujours tout près de chez vous. Vous vivez en couple et vous demandez chaque année un rapprochement de conjoint dans la ville dans laquelle vous habitez (sans parler d’un poste fixe, mais là on oublie…). Vous obtenez enfin votre rapprochement de conjoint, pile au moment où, en fait, vous vous séparez de votre conjoint… Ironie du sort ? Bref, vous obtenez un rattachement dans un lycée tout près de votre nouveau chez vous, mais à la rentrée vous vous retrouvez sans remplacement. Le jour de la pré-rentrée, on vous parle d’une asso de profs bénévoles à l’hôpital d’enfants (http://aiscobam.hautetfort.com/archive/2009/11/30/aiscobam-le-blog.html). Vous vous inscrivez immédiatement. Puis on vous appelle pour un remplacement, à temps plein, mais vous continuez à aller à l’hôpital régulièrement, parce que vous avez commencé à suivre une ou deux élèves. En cours d’année, vous vous essoufflez un peu, les trajets, des collégiens pénibles (pas tous) et puis les cours à l’hôpital, pas toujours faciles à gérer. Un jour, sur le trajet de l’hôpital, vous n’êtes plus motivée et vous vous dites que vous allez arrêter. Et puis, vous arrivez dans la chambre d’une élève que vous suivez depuis plusieurs semaines, qui vous accueille toute enjouée par un : « J’ai une super nouvelle, je rentre chez moi demain ! Je tenais à vous remercier mille fois pour tous les cours que vous m’avez donnés, si je pouvais, je vous emmènerai chez moi avec ma valise ! »

Cette élève n’a probablement jamais su l’impact qu’a eu sur moi cette petite phrase, mais vous dire qu’elle m’a redonné la patate pendant des jours serait un euphémisme ! Alors j’ai continué, plus que jamais, à avoir envie de donner des cours à l’hôpital. Et mon regard sur mes propres élèves a changé profondément aussi. Une approche plus individuelle, alors que je m’étais un peu perdue dans la « masse » des nombreux élèves que je pouvais rencontrer, à chaque fois, dans mes différents remplacements. Des élèves que je commençais à peine à connaître quand mon remplacement se terminait, un anonymat ambiant et une sensation d’inachevé, à chaque fois. Les cours à l’hôpital ont redonné une consistance et de la perspective à ma façon d’appréhender mon job. Et je kiffais de nouveau. Grave.

Ça a redonné aussi de la perspective à ma façon de regarder ma vie. A ce que j’avais toujours voulu faire, mais que je n’avais jamais entrepris. A cette liberté de choix de vie qui s’offrait à moi, maintenant que j’avais retrouvé un semblant de stabilité, émotionnelle et professionnelle. Et une question : qu’as-tu toujours voulu faire et qu’aujourd’hui tu es en mesure de mettre en œuvre ? Et comme une évidence, cette réponse : de l’humanitaire, un jour, ailleurs. Ce souci de l’autre à l’échelle internationale en quelque sorte. L’envie d’aller voir ailleurs si j’y étais, aussi.

Entre un questionnement personnel approfondi et une recherche sur le net toute aussi approfondie, d’abord francophone, puis anglophone, je suis tombée sur le site d’une ONG au Népal (http://www.fordnepal.org/). Une prise de contact par mail, un échange hyper rassurant, détaillé et motivant. Un pays à la culture fascinante, le berceau du bouddhisme, mais aussi un des pays les plus pauvres de la planète, où le besoin d’aide internationale est crucial, des enfants qui meurent de faim, exploités, maltraités, non scolarisés, déshumanisés… Ok j’arrive, si je peux aider en quoi que ce soit, faites le moi savoir. Un orphelinat qui a besoin d’aide ? ok, je signe où ? Et voilà comment en l’espace d’une année scolaire, vous vous retrouvez à commencer à faire du bénévolat dans un hôpital en France et vous finissez avec vos billets d’avion en poche pour faire du bénévolat dans un orphelinat, à l’autre bout du monde. C’est aussi simple que ça.

Vous passez donc un mois là-bas, à découvrir une culture totalement différente de la vôtre, à vous remettre en question quotidiennement, à vivre une expérience ultra riche en émotions et en apprentissage. Vous apprenez finalement plus que les enfants dont vous vous occupez. Vous en apprenez beaucoup sur vous-même, aussi. Et vous repartez déjà, un mois ça passe si vite.

Vous vous retrouvez alors à la réunion de pré-rentrée, vous vous dites que vous êtes carrément en décalage avec les autres profs, et vous vous demandez ce que vous foutez là. Vous n’êtes pas appelée pour un remplacement en cette rentrée, réforme du lycée oblige, des postes supprimés, des remplaçants en surnombre, de grandes chances que vous ne soyez pas appelée de l’année, quoique vous avez peut-être de la chance, y’a une collègue du lycée qui doit prendre sa retraite en cours d’année… Vous reprenez évidemment les cours à l’hôpital, vous avez tout le temps en plus. Mais cela ne vous suffit pas, vous vous dites que vous pourriez être bien plus utile là-bas. Et puis, vous voyez arriver les demandes de temps partiel, vous prenez en main cette demande de mi-temps annualisé sur laquelle vous aviez toujours lorgné les années précédentes, mais sans avoir de projet concret. Là, le projet, vous l’avez, bien concret dans votre tête, repartir là-bas, en faire plus, plus longtemps. Alors vous remplissez les papiers, en vous disant que vu le nombre de remplaçants dans votre discipline, y’a p’têtre des chances qu’on vous l’accorde. Et puis le remplacement dans votre lycée tombe. Alors, impatiente de retrouver des élèves et d’enseigner à nouveau, vous vous remettez à bosser. Vous découvrez les nouveaux élèves que vous allez avoir pendant les 6 prochains mois, le temps de bien les connaître, c’est déjà ça. Vous faites des TP de chimie. Et vous kiffez. Grave. En plus, vous avez un emploi du temps qui vous permet de poursuivre les cours à l’hôpital, parfait. Vous êtes donc déjà bien occupée mais une amie vous parle de sa paroisse qui serait prête à donner un coup de main financier à l’orphelinat du Népal. Ah ouais ?! Sous réserve que je leur fasse une présentation powerpoint et que je leur explique un peu ? Pas de souci ! C’est dans mes cordes, expliquer des trucs, devant une assemblée, c’est ce que je fais tous les jours ! Quelques semaines plus tard, vous récoltez une belle somme, vous avez la patate, vous vous sentez soutenue.

Et l’année scolaire se termine avant que vous ayez eu le temps de dire ouf. Sauf qu’elle se termine sur un papier dans votre casier, qui vous apprend que le mi-temps, on vous l’a effectivement accordé…

7  mois plus tard, vous vous retrouvez avec vos valises au pied du lit, prête à repartir, et une deuxième somme d’argent récoltée grâce à une vente de calendriers au profit de l’orphelinat. Vous n’avez pas eu de remplacement depuis le début de l’année scolaire, mais à vrai dire, vous vous en foutez, parce que vous avez été pas mal occupée, entre le fait de quitter votre appart, la vente des calendriers, les cours à l’hôpital et le soutien au lycée. Et puis vous repartez au Népal, tout bientôt. Et vous kiffez. Grave.